Les trésors du français québécois dans Maria Chapdelaine

Le roman Maria Chapdelaine de Louis Hémon est bien plus qu’un classique de la littérature québécoise : c’est aussi un véritable trésor linguistique ! Ce livre nous transporte dans l’univers rural québécois du début du 20e siècle, avec son langage coloré et ses expressions savoureuses.

L’auteur, né à Brest en France, a su capter les particularités de la langue canadienne-française. Il est à noter qu’à l’époque, on n’utilisait pas encore l’expression « langue québécoise » et on appelait les Québécois des Canadiens français.

Parfois énigmatiques pour les francophones d’ailleurs, les mots et expressions qui foisonnent dans ce roman illustrent la richesse et l’originalité du français québécois.

Vous pouvez lire le roman en ligne gratuitement : https://beq.ebooksgratuits.com/pdf/Hemon-Maria.pdf

Permettez-nous de vous faire découvrir ces termes délicieux qui racontent, à leur façon, l’histoire d’un peuple et de sa langue. Nous avons sélectionné une liste de 10 expressions et mots tirés du livre.

1 — Dépareillé

Au Québec, ce mot peut signifier « unique, exceptionnel, hors du commun, remarquable », en d’autres mots, à nul autre pareil. Dans ce contexte, dépareillé est souvent un compliment.

Extrait (page 260) :

— Ephrem Surprenant a dit la vérité, fit-il. Ta mère était une bonne femme, Maria, une femme dépareillée.

Maria fit « oui » de la tête, serrant les lèvres.

2 — Piastre

Au Québec, le mot piastre est souvent utilisé de manière familière pour désigner le dollar. Cependant, il est important de noter qu’habituellement, on le prononce « piasse ». De nombreux Français confondent « piasse » avec « pièce », ce qui les amène à utiliser à tort « pièce » au lieu de « piasse ».

Extrait (page 8) :

— Et qui va être un « foreman » à trois piastres par jour ? C’est le bonhomme Laliberté…

Un peu d’histoire : l’utilisation du mot piastre remonte à la fin du 17e siècle. Au temps de la Nouvelle-France, la monnaie en circulation était la piastre espagnole dont le nom serait d’origine italienne, comme quoi l’argent n’a pas de frontières.

La piastre espagnole a été abandonnée, mais le mot piastre s’est imposé comme équivalent français du mot anglais dollar. En 1835, dollar a été francisé par l’Académie française. Cela n’a toutefois pas empêché le mot piastre de survivre dans la langue populaire.

3 — Adon

Dans la langue québécoise, le mot adon signifie « coïncidence, hasard, heureux concours de circonstances, qui tombe à propos ».

Extrait (page 14) :

— Bonjour, monsieur Chapdelaine. Bonjour, mademoiselle Maria. C’est un adon que je vous rencontre, puisque votre terre est plus haut le long de la rivière et que moi-même je ne viens pas souvent par « icitte ».

Un peu d’histoire : le mot adon trouve son origine dans le domaine maritime, plus précisément du vent d’adon, qui est un vent favorable pour la navigation à voile. En latin populaire, le verbe adonnare signifie « se diriger vers ». De même, en ancien et moyen français, adon signifiait « don » ou « présent ».

Il est donc probable que le sens québécois du mot adon découle de ces deux sources.

4 — Bonhomme

Le mot bonhomme offre une grande variété de nuances en français québécois. Ici, il fait référence au père.

Extrait (page 15) :

— Non, monsieur Chapdelaine, je n’ai pas gardé la terre. Quand le bonhomme est mort j’ai tout vendu, et depuis j’ai presque toujours travaillé dans le bois, fait la chasse ou bien commercé avec les sauvages du grand lac à Mistassini ou de la Rivière-aux-Foins. J’ai aussi passé deux ans au Labrador.

5 — Châssis

En québécois, le mot châssis peut désigner une fenêtre ou le cadre d’une fenêtre. C’est différent du français standard où le châssis fait référence uniquement au cadre.

Par extension, on utilise aussi le terme châssis double pour parler des doubles fenêtres typiques des maisons québécoises traditionnelles, qui servent à mieux isoler du froid pendant l’hiver glacial.

Cependant, l’utilisation du mot châssis, dans ce contexte, tend à disparaître de l’usage.

Extrait (page 32) :

Alors, l’église est finie : une belle église en pierre, avec des peintures en dedans et des châssis de couleur… — Que ça doit donc être beau !

6 — Prendre un coup

Au Québec, l’expression prendre un coup n’est pas toujours synonyme de recevoir des coups. En effet, prendre un coup peut vouloir dire « boire avec excès, se soûler ».

Extrait (page 103) :

— C’est vrai que j’avais coutume de prendre un coup pas mal, quand je revenais des chantiers et de la drave ; mais c’est fini. Voyez-vous, quand un garçon a passé six mois dans le bois à travailler fort et à avoir de la misère et jamais de plaisir, et qu’il arrive à La Tuque ou à Jonquière avec toute la paye de l’hiver dans sa poche, c’est quasiment toujours que la tête lui tourne un peu : il fait de la dépense et il se met chaud, des fois… Mais c’est fini.

(qc)Être chaud(/qc), c’est le résultat de prendre un coup, c’est être en état d’ébriété.

7 — Drave

Ce terme québécois désigne le flottage du bois sur les cours d’eau. Il s’agit en effet de l’art de faire dériver des rondins de bois depuis les sites d’abattage jusqu’aux scieries ou aux papeteries grâce au courant des cours d’eau.

Extrait (page 79-80) :

— Ça ne va pas si vite seul, c’est vrai ; mais un homme seul se nourrit sans grande dépense, puis votre frère Egide va revenir de la drave avec deux, trois cents piastres pour le moins, en temps pour les foins et la moisson, et si vous restez tous les deux icitte l’hiver prochain, dans moins de deux ans vous aurez une belle terre.

Les travailleurs qui exerçaient ce métier s’appelaient les draveurs. C’était un métier très risqué qui exigeait beaucoup d’habileté et de courage, car les draveurs devaient souvent marcher sur les billes de bois flottantes pour les diriger et dégager les embâcles.

Extrait (page 81) :

… il faut encore le concours des draveurs forts et adroits, habitués à la besogne périlleuse, pour courir sur les troncs demi-submergés, rompre les barrages, aider tout le jour avec la hache et la gaffe à la marche heureuse des pans de forêt qui descendent.

Un peu d’histoire : le mot drave vient de l’anglais to drive (conduire, diriger), qui a été francisé au Québec. Cette pratique a été très importante dans l’histoire forestière du Québec, particulièrement de la fin du 19e siècle jusqu’aux années 1960, avant d’être progressivement remplacée par le transport routier.

Source : Radio-Canada

8 — Avoir de la misère

L’expression québécoise avoir de la misère signifie « avoir de la difficulté » ou « avoir du mal à ». C’est une expression très courante au Québec, utilisée dans le langage familier. Elle peut s’employer avec à peu près tout : on peut avoir de la misère à faire quelque chose, avoir de la misère avec quelqu’un ou quelque chose.

Extrait (page 81) :

— De la misère, s’exclama Légaré avec mépris. Les jeunesses d’à-présent ne savent pas ce que c’est que d’avoir de la misère. Quand elles ont passé trois mois dans le bois elles se dépêchent de redescendre et d’acheter des bottines jaunes, des chapeaux durs et des cigarettes pour aller voir les filles. Et même dans les chantiers, à cette heure, ils sont nourris pareil comme dans les hôtels, avec de la viande et des patates tout l’hiver. Il y a trente ans…

9 — Maringouin

Le mot maringouin désigne un moustique, en particulier une variété qui pique et aspire le sang. Ce terme est largement utilisé au Québec et dans certaines autres régions francophones d’Amérique du Nord pour parler de ces insectes souvent présents près des plans d’eau et dans les zones humides. En français standard, on emploie plus couramment le mot moustique.

Extrait (page 90) :

Le dernier maringouin vint se poser sur la figure de la petite Alma-Rose. Gravement elle récita les paroles sacramentelles : — Mouche, mouche diabolique, mon nez n’est pas une place publique ! Puis elle écrasa prestement la bestiole d’une tape.

10— Être écarté

En québécois familier, être écarté peut signifier « être perdu, désorienté, ne plus savoir où on est ». Cette locution est souvent utilisée quand quelqu’un perd son chemin ou se retrouve dans un endroit qu’il ne connaît pas bien.

Cette expression est probablement dérivée de l’idée de s’écarter du bon chemin ou de dévier de sa route. Elle est d’usage courant au Québec et fait partie du langage de tous les jours.

Extrait (page 158) :

Le monologue qu’il avait préparé n’allait pas plus loin sans doute, ou bien il hésitait à prononcer les paroles nécessaires, car il ne répondit qu’après quelques instants de silence à voix basse :

— Il s’est écarté…

Des gens qui ont passé toute leur vie à la lisière des bois canadiens savent ce que cela veut dire. Les garçons téméraires que la malchance atteint dans la forêt et qui se trouvent écartés — perdus — ne reviennent guère. Parfois une expédition trouve et rapporte leurs corps, au printemps, après la fonte des neiges…

Le français québécois : entre héritage et originalité

Les mots et expressions de Maria Chapdelaine offrent un véritable voyage dans le temps et dans l’âme du Québec d’autrefois. Ils rappellent la force d’un peuple, son attachement à sa terre et sa créativité linguistique. Que vous soyez passionné de langue, de littérature ou simplement curieux, cette exploration du parler québécois est une porte d’entrée vers une culture fascinante.

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